Yasmine venait d’entrer dans une chambre qui lui semblait ô combien plus froide que la chambre qu’elle avait partagé avec Alistair pendant les quelques mois où ils avaient vécu ensemble. Cette chambre qui avait été le repère de nuits enflammées et où la jeune femme avait entrevu l’avenir dont elle avait toujours rêvé. L’étudiante était de retour à la case départ, sans son meilleur ami, sans celui qui avait pris une grande place dans son cœur depuis le tout début de leur histoire... il y avait si longtemps. C’est le cœur lourd qu’elle s’était rendue – plus tôt – à la maison d’Alistair au village pour ramasser ses affaires. Elle avait choisi d’attendre un moment où Alistair serait là afin d’éviter les disputes éventuelles sur les divers trucs qu’elle avait ramenés avec elle. Cassiopée avait respecté le couple qui mourrait en les laissant seuls. Dieu merci. Cela risquait déjà d’être si difficile.
Yasmine avait récupéré ses choses en silence. Son matériel de peinture, ses livres scolaires, ses vêtements... tout ce qu’elle possédait et qu’elle avait amené au début de l’été en laissant sa chambre d’étudiante libre de toutes ses petites choses qui la rendaient vivante. Durant tout l’exercice, l’anglo-égyptienne avait fait tout son possible pour ne pas pleurer et pour ne pas ajouter de paroles qui puissent encore davantage l’éloigner d’Alistair. Pourtant, la douleur atroce qui torturait son cœur avait menacé de la faire craquer à de nombreuses reprises tandis qu’elle rassemblait ses possessions et qu’elle les transportait dans un silence oppressant, mais nécessaire, jusqu’au salon. La NIMH n’avait pas parlé non plus, respectant le silence que semblait vouloir celui qui quittait sa vie. Elle se sentait misérable en quittant ce qui avait représenté la demeure parfaite, l’oasis de paix et d’amour dans lequel ils s’étaient retrouvés, seuls au monde, pour l’été. Même Aeris semblait triste de partir tandis que la future médicomage le prenait dans ses bras dans le salon pour regagner l’université par la cheminée. Elle n’avait pas pu ignorer le regard abattu de l’animal ni ses miaulements de désaccord... ou encore le regard d’Accio qui semblait triste de perdre sa copine de course et de folies.
*Nous nous reverrons peut-être un jour Accio...* avait-elle pensé en silence tandis qu’elle posait une dernière fois son regard sur le chien avant de passer la cheminée
*Tu vas me manquer... prends soin de lui, je t’en prie...*Puis, elle était partie vers l’université sans dire une seule parole à celui qu’elle n’aurait jamais pensé quitter encore une fois. La douleur ne s’atténua pas tandis qu’elle cheminait vers le deuxième étage et vers le dortoir des filles où elle avait sa chambre. Finalement, après avoir déverrouillé la serrure et pénétré dans cette chambre froide et sans âme, Yasmine laissa craquer le masque impassible pour fondre en larme en glissant contre le mur. Aeris lui lançait toujours des regards tristes et mécontents, mais il lécha les larmes qui ruisselaient comme un torrent sur les joues de sa maîtresse.
Il fallut un temps incalculable pour que la jeune femme cesse de pleurer et c’est la mort dans l’âme qu’elle se releva pour remettre ses choses en place, rangeant ses vêtements dans la commode, recréant l’espace pour Aeris avec sa couverture et le jouet qu’elle lui avait acheté durant l’été, replaçant ses livres scolaires et son matériel à dessin sur la table de travail. Au fur et à mesure que chaque chose regagnait sa place, comme si rien n’avait bougé depuis la fin de l’année scolaire précédente, la sombre réalité prenait sa place dans l’esprit de Yasmine. Cette réalité qu’elle avait elle-même créée en insinuant – dans un moment de folie – que Walter, Zòhra et Alistair aient pu avoir une relation plus qu’amicale ensemble, mais que, pire encore, Alistair ait pu avoir le même genre de relation avec Cassiopée, sa sœur.
Ces insinuations malsaines, provoquées autant par les propos tendancieux de Walter et Alistair que par le manque de réflexion de la jeune femme, avaient mené à la rupture définitive du couple... et à la rupture de l’amitié une nouvelle fois. Cette fois, et c’en était encore plus douloureux pour cette raison, Yasmine était entièrement responsable de leur séparation.
Après avoir terminé de replacer ses choses dans la chambre, Yasmine passa dans la salle de bain et réorganisa un peu pour se réapproprier correctement la pièce. Doucement, elle finit par laisser choir son bustier et son pantalon sur le sol avant de retirer ses sous-vêtements. Nue, elle se glissa dans la douche et, fermant les yeux, elle laissa l’eau brûlante caresser sa peau. Les larmes ruisselèrent encore tandis que, dans son esprit, la musique vint se joindre à ses pensées. D’une voix où résonnaient le désespoir et la douleur, l’aigle se mit à chanter une chanson qui avait vu le jour quelques années auparavant.
"No I can’t forget this evening... or your face as you were leaving... but I guess that’s just the way the story goes... you always smile but in your eyes your sorrow shows... yes, it show" commença-t-elle en sentant la brûlure des larmes et de la douleur qui habitait sa gorge tandis que les mots sortaient difficilement.
"No, I can’t forget tomorrow... when I think of all my sorrows... when I had you there but then I let you go... and now it’s only fair that I should let you know... what you should know... I can’t live..."La voix de Yasmine se brisa et, momentanément, elle fut incapable de chanter.
"I can’t live if living is without you... I can’t live, I can’t give any more... I can’t live if living is without you... I can’t give any more..." poursuivit-elle une fois qu’elle eut retrouvé la capacité de parler.
Sa voix se brisa encore et, cette fois, elle ne tenta pas de reprendre, laissant son corps se tordre de douleur et pleurant à chaudes larmes la fin de son histoire parfaite. Elle avait retrouvé son meilleur ami, enfin... puis ils avaient choisi de vivre ensemble, d’être ensemble... elle avait, sans le vouloir vraiment ou sans s’en rendre compte, modifié les habitudes de vie d’Alistair, le contraignant, par exemple, à ne pas utiliser la magie pour tout. Elle ne s’était pas aperçue de son mal d’être et de son étouffement. Elle ne s’était pas rendu compte que, sans le vouloir, la jeune femme l’empêchait de vivre... autant qu’il s’en empêchait lui-même... pour construire leur histoire idyllique, pour construire un bout de paradis dans cet univers qui avait cruellement manqué de la présence d’Alistair.
Lentement, Yasmine termina de nettoyer sur son corps les traces invisibles de ce passé, pas si lointain, où elle vivait dans les bras de son amour d’enfance. Dans les bras de celui qui, enfant, lui avait dit "Quand on sera grand, on se mariera. Père dit qu'il faut PER-PÉ-TU-ER la lignée... je sais pas trop c'est quoi, mais il faut marié, une fille de bonne famille avec des bonnes manières. Et vu que je veux pas être avec Eleanora Flint parce que tu es 100 fois plus marrante ben on se mariera." Et à qui elle avait répondu "D’accord!" avant de poser un baiser sur sa joue. La jeune femme savait très bien que les traces de son passé ne disparaitraient pas comme cela et qu’il lui faudrait de longs moments pour oublier... si elle oubliait un jour.
L’étudiante finit par sortir de la douche, puis de la salle de bain, après plus d’une heure durant laquelle elle avait laissé ses larmes se mêler à l’eau brûlante qui ruisselait sur sa peau nue. Elle ne se sentait pas mieux, loin de là, mais elle avait repris possession des lieux. Lentement, elle revêtit un bustier noir et un pantalon noir doté de fines rayures verticales argentées. Puis, en silence, elle se dirigea vers le Sor-Thé-Lège où elle investit sur une bouteille de whisky avant de regagner sa chambre. Yasmine avait besoin de noyer la douleur et le désespoir dans l’alcool avant de pouvoir réapprendre à vivre normalement... seule.
Seule... oui, elle serait seule. Ses paroles ridicules et irréfléchies n’avaient pas fait du mal uniquement à Alistair et l’étudiante le savait. Walter et Cassiopée avaient également été blessés par les paroles qu’elle avait prononcées. C’était logique, clair. Même elle, si elle avait été la cible de ses paroles, aurait été blessée. Alors, elle comprenait que les gens s’éloigneraient probablement d’elle.
Yasmine s’installa à sa table de travail devant un parchemin vierge avec sa bouteille de whisky qu’elle avait ouverte rapidement avant d’en prendre une longue gorgée. Elle regarda longuement le parchemin et se résolu à prendre une plume. La jeune femme savait qu’elle devait prévenir sa grand-mère de la tournure des événements. Après l’été qu’ils avaient passé, qui aurait pu penser que leur histoire se terminerait si rapidement. Lentement, elle écrivit une missive à l’intention de la vieille femme qui, elle aussi, apprenait à vivre sans l’homme qu’elle avait aimé. À de nombreuses reprises, elle dut poser sa plume et attendre que les émotions se calment avant de reprendre le cours de son écriture.
Une fois la missive scellée, la jeune femme se leva avec sa bouteille et se jeta sur son lit.
"I can’t live if living is without you..." murmura-t-elle en serrant l’ours en peluche qui avait trouvé sa place sur le lit.
Comme si la source en était intarissable, les larmes de Yasmine trempèrent Nours, l’ours en peluche que la jeune femme possédait depuis l’enfance et qu’elle avait toujours gardé près d’elle... surtout après qu’elle eut été séparée brutalement de son meilleur ami par son grand-père... et finirent par inonder l’oreiller de l’anglo-égyptienne. Dans son tiroir, l’animal ingrat qui servait de chat à Yasmine l’observait sans bouger et semblait toujours en vouloir à sa maîtresse. Se sentant plus seule que jamais, l’étudiante pleura longuement en buvant du whisky avant de sombrer dans un sommeil trouble et agité qui ne lui fit aucun bien.
- HJ -
On peut reconnaître
"Without you" de Harry Nilsson... une chanson magnifique datant de 1972.