L’étude des runes était sans doute une des matières les plus fastidieuses et complexes qu’Adele avait à apprendre et à maîtriser. Traduire les vieux symboles en anglais pouvait s’avérer passionnant, mais pas aujourd’hui. Non, aujourd’hui il était trop affamé pour arriver à se concentrer correctement et alors qu’il fixait d’un regard vague les anciennes écritures qu’il était censé traduire, faisant tourner sa plume dans sa main et la tête affalée sur l’autre, il ne pensait qu’à son estomac qui criait famine. Complètement déconnecté du cours, il voyait défiler dans son esprit des plats plus appétissants les uns que les autres. Il jeta un coup d’œil à la pendule accrochée au mur : 16h25. 5 minutes avant la fin du cours, 20 avant le début du prochain. C’était décidé, il ferait un saut aux cuisines entre les deux, quitte à arriver en retard dans son cours suivant.

Cinq minutes plus tard donc, il jeta sons sac sur son épaule après avoir rangé en pagaille ses affaires et se dirigea comme convenu vers la cuisine. A force d’avaler n’importe quoi à n’importe quelle heure, de sauter des repas ou d’en manger trois d’un coup, il avait fini par dérégler son alimentation. En ouvrant la porte de la cuisine il huma les odeurs de dizaines de mets qui eurent aussitôt l’effet de le faire gargouiller. Balançant son sac au fond de la pièce – Qui décidemment subissait beaucoup de chocs – Il ouvrit en grand la porte du frigidaire et attrapa à peu près n’importe quoi avant de disposer le tout sur la table. Saucisson, yaourt, compote, pain de mie, tarte aux poires, restes de ratatouille et mozzarella lui faisait désormais face.

Alors qu’il attaquait sans attendre une pom’pote - bien pratique car elle ne nécessitait aucun couvert - il entreprit de se faire un sandwich de pain de mie et de charcuterie. Tout affairé à contenter son ventre, il n’entendit pas la porte de la cuisine s’ouvrir et retint un sursaut quand il vit des jambes s’avancer. En relevant la tête il put reconnaître le visage d’Astoria Martell. La jeune fille était une sang pure de Serpentard, fière et distingué mais qui dégageait également une grande froideur. Gloups. Il avait l’air malin, debout avec une pom’pote dans la bouche en train d’ouvrir un saucisson et entouré de plein d’autres mets. Un instant de flottement se fit sentir entre les deux jeunes gens. Adele ne put s’empêcher de penser qu’il devait avoir l’air d’un boulimique en pleine crise. Arrachant sa compote de la bouche il se tourna plus franchement vers Astoria et tenta une approche :

« Hey, salut Astoria ! Toi aussi tu… as faim ? » Demanda-t-il avec un sourire amical.

Pas génial, tout ça. Bien sûr qu’elle devait avoir faim, pourquoi serait-elle ici sinon ? Mais que pouvait-il dire d’autres ? Il se voyait mal lui tendre son saucisson accompagné d’un « HEY ! On partage ? » La CEART le mettait mal à l’aise, c’était certain. Elle était sans doute dégoûtée par son rang de né-moldu et le méprisait. Il avait eu quelques altercations avec des Serpentards par le passé et en gardait une certaine méfiance envers eux, même si la jeune fille ne lui avait rien fait à proprement parlé. Il était tout de même d’une nature très positive et ne voulait pas juger la demoiselle trop vite. Elle ne devait pas être si pompeuse que cela si elle acceptait de faire ses études à St-Barnaby, non ?

Evidemment. Evidemment elle lui avait lancé une réplique acerbe devant sa question stupide. Et elle l’accusait d’avoir tout prit, en plus ! Non mais ! Peut-être qu’il avait pris tout ce que ses bras pouvaient porter en une seule fois mais tout de même ! Il lui aurait bien répondu si elle ne s’était pas directement jetée sur la nourriture. Ah. Elle aussi était affamée au final. Elle se fit des toasts incongrus dignes de lui accompagné d’une pomme. Il avait fini sa pom’pote et après avoir déballé le saucisson et étalé des tartines de mies de pain devant lui, il voulut couper des tranches de l’appétissante charcuterie. Ne possédant aucun couvert à portée de main, il interpella Astoria.

« Tu peux me passer ton couteau, s’il te plaît ? »

Il tendit le bras vers elle, attendant de recevoir l’ustensile avec lequel elle avait soigneusement tartiné ses toasts quelques secondes avant. Il fronça soudain les sourcils et laissa retomber son bras lentement, soudain frappé par un soudain flash-back. Il avait un couteau. Dans son sac.

« OH ! J’y pense soudain, une nuit j’ai trouvé un poignard dans la bibliothèque, je me demande s’il ne t’appartiendrait pas, attend… »

Et sans attendre une quelconque réaction de la jeune fille il sorti de son sac l’arme en question. Depuis qu’il l’avait balancé sans ménagement dans sa besace pour éviter de se faire surprendre avec par Remus il n’y avait pas retouché et avait royalement oublié l’objet en question. Le poignard était donc dans l’état où il l’avait laissé : barbouillé de peinture rouge. Un peu gêné par l’allure lamentable du couteau, il prit le parti d’en rire.

« Bon, j’ai dû m’en servir deux ou trois fois pour égorger des chatons, mais sinon il est comme neuf, ahah ! »

« Tu peux me passer ton couteau, s’il te plaît ? »

Histoire de l’embêter, elle se resservit du couteau en question pour rajouter un peu de confiture. Berry resta quelques secondes le bras en l’air avant d’avoir manifestement la brillante idée du siècle.

« Oh ! J’y pense soudain, une nuit j’ai trouvé un poignard dans la bibliothèque, je me demande s’il ne t’appartiendrait pas, attend… »

Astoria se redressa légèrement, elle avait déjà été dans la bibliothèque plusieurs fois, peut-être qu’il avait trouvé son couteau perdu… Si c’était le cas, elle se promettait d’être légèrement plus indulgente avec lui. Il fouilla dans son sac et ressorti un truc. On aurait bien dit son poignard, mais dans un état complètement… Dégueulasse. Et rouge en plus.

« Bon, j’ai dû m’en servir deux ou trois fois pour égorger des chatons, mais sinon il est comme neuf, ahah ! »

Nan mais c’est quoi son humour à lui là ? pensa-t-elle. On touche pas aux chatons, non mais.

« Du rouge sale ? Tu m’as prise pour une Gryffondor de bas étage ou quoi ? »

Puis elle vit plus nettement le manche de l’objet. Un serpent enroulé, avec des yeux émeraude. C’était bien le sien.

« Mais qu’est-ce que t’as fait ? Tu l’as complètement sali ! C’est un objet qui appartient à ma famille depuis des générations, offert par Salazar Serpentard lui-même à l’un de mes aïeux qui se trouvait être son cousin ! Alors y mettre du rouge… Du ROUGE ! »

Enervée, la jeune fille prit le poignard des mains de l’Ecossais et utilisa plusieurs formules magiques pour être sûre qu’il ne reste plus aucune trace du sacrilège qui avait été commis. Ses ancêtres devaient se retourner dans le caveau familial.

Elle n’avait même pas rit à sa petite blague. Pas l’ombre d’un sourire, rien. Pire encore, elle l’avait ouvertement engueulé. Bizarrement elle se mit à faire une fixette sur le rouge du couteau, comme si c’était la couleur qui la gênait et non le fait qu’il soit sale.

« Ok, du calme, ce n’est qu’un peu de peinture. T’as l’air complètement affolée de voir du rouge sur ton arme mais si tu veux t’en servir pour blesser des gens il va falloir t’y habituer, tout le monde à le sang rouge. Même les sangs-purs, même toi. »

Bam. Le mot était lancé. Sang-pur. Parce qu’il s’agissait bien de cela, au fond, non ? De toutes les erreurs qu’il pouvait commettre rien ne serait aussi monstrueux que le fait qu’il soit né dans une famille moldu, n’est-ce pas ? Elle avait évoqué sa lignée avec fierté, retraçant le parcours du couteau au sein de sa grande famille, comme si cela le rendant indigne de poser même un regard sur l’objet en question.

Ouais ba trop tard. Il l’avait trouvé, récupéré, salit et rendu. Et il devait l’avoir plus salit que ce qu’il pensait puisqu’Astoria lança une multitude de sorts de nettoyage, comme si elle espérait y enlever ses empreintes digitales de l’arme. C’était tout bonnement ridicule. Et très vexant, en réalité.

Il ne s’en était même pas rendu compte mais il avait arrêté de manger, trop concentré sur un début de colère qui montait en lui. Bon sang, mais c’était quoi le problème ? Qu’est-ce qu’elle croyait ? Qu’elle allait être déshéritée ? Que ses ancêtres se retournaient dans leurs tombes ?

Il serra la mâchoire et son regard se fit plus dur. Il n’était pas colérique et préférait désamorcer les tensions par une plaisanterie mais il ne supportait pas l’injustice. De quoi l’accusait-on ? D’être né dans une famille sans magie ? Comme s’il avait choisi, tiens ! Il ferma les yeux une seconde afin de se calmer. Il ne souhaitait pas lancer une dispute entre lui et la jeune fille mais n’avait pas pu s’empêcher de lui envoyer une pique. Adele sentait que c’était à ce point de la conversation que tout pouvait déraper. Allait-elle l’attaquer à son tour ou désamorcer la bombe prête à exploser ?