"Je vais chez ma sœur."

Il ne savait pas pourquoi il avait menti. Il avait voulu dire à Paxton toute la vérité -après tout, qu'avait-il à se reprocher ? C'était Trixie qui avait suggéré ce rendez-vous autour d'un café, et c'était bien le minimum qu'il pouvait lui accorder- mais il n'avait pu s'y résoudre. Il avait déposé un baiser sur le front de la londonienne et avait quitté le café étudiant avec la culpabilité doublée de nervosité lui creusant l'estomac.

Il était repassé au vestiaire pour se changer, sans vraiment savoir pourquoi. Il avait enfilé sa chemise préférée (celle avec les carreaux rouges et bruns) et son gilet bordeaux, il avait rapidement recoiffé ses cheveux mi-longs, bien que ceux-ci n'aient jamais été d'accord pour se laisser dompter, il ne voyait donc pas pourquoi ça changerait aujourd'hui, et finalement, s'assit sur le bord de son lit en regardant sa montre régulièrement, à intervalles de deux ou trois secondes. Il était bien trop en avance. Et il était nerveux. Il pouvait sentir une désagréable tension dans tous les muscles de son corps, et ses mains s'étaient remises à trembler légèrement.

Les garçons n'étaient pas au dortoir. Pour le moment il était seul, et c'est donc en priant pour qu'il le reste encore quelques minutes au moins qu'il sortit une malle de sous son lit. Il l'ouvrit, dégagea la couche de vêtements sagement pliés sur le dessus, pour découvrir une bouteille de whisky entamée, qu'il s'empressa de déboucher pour en avaler quelques longues gorgées, chaudes et réconfortantes.

Ça allait déjà mieux.

Il poussa un soupir de soulagement, assis au pied de son lit, et le temps fila alors qu'il continuait de s'abreuver de sa potion magique bien à lui.
Lorsque l'heure fatidique approcha, il réussit finalement à s'obliger à se lever. Après avoir soigneusement remis la bouteille dans sa malle et replacé ses vêtements par dessus, il partit à la salle de bain se laver les dents pour couvrir son haleine qui risquait de trahir son état alcoolisé, se jeta de l'eau glaciale sur le visage, puis finalement enfila son manteau gris et son écharpe des Ballycastle Bats et sortit du château pour transplaner jusque devant la Banshee aussitôt qu'il eut franchi la grille.

Elle était là. Elle l'attendait dans le froid, et à en juger par son nez rosi, elle était probablement là depuis un moment.
Il retint un sourire attendri. Ce n'était pas le moment d'être faible. Ce ne serait bon ni pour lui, ni pour Trixie.

Après avoir pris une profonde inspiration, il s'avança vers son ex fiancée, les mains enfoncées au fond de ses poches, et lui fit un petit signe de tête timide en guise de bonjour.

"Tu ne m'as pas attendu trop longtemps, j'espère ? Tu aurais pu te mettre au chaud, tu sais."

Fuyante. Pour la première fois de sa vie, Trixie agissait comme si elle aurait préféré ne pas le voir, comme si soutenir son regard la dégoûtait tellement qu'elle en était obligée de le fuir.

Il ne savait pas trop à quoi il s'était attendu. Elle n'allait certainement pas lui sauter dans les bras -et ça n'aurait pas été souhaitable non plus, mais voir celle qui fut sa confidente, sa meilleure amie et sa moitié pendant tout ce temps lui faire se sentir indésiré, lui donna l'impression que son coeur venait brutalement de tomber dans ses talons.

Il était loin de faire le fier lorsqu'il la suivit à l'intérieur du pub. Il était bien trop troublé pour prêter attention à l'environnement, aussi sursauta-t-il légèrement lorsqu'il entendit une voix forte et familière lui parvenir de derrière le comptoir.

- "Tiens, regardez qui fait son grand retour ! Alors Doherty, l'autre folle t'a rendu tes couilles, t'as enfin la permission de minuit ?"

Il ne réagit pas à la remarque d'Eve, mais il se sentit définitivement plus honteux, si c'était encore possible.
Il n'osa pas lever les yeux vers Trixie, ni même regarder ailleurs que ses pieds, jusqu'à ce qu'il choisisse une table au hasard, dans le coin du pub, où il prit place.

Cela ne faisait pas deux minutes qu'il avait retrouvé son ancienne petite amie, et c'était déjà un cauchemar. Dès qu'elle lui avait proposé ce rendez-vous, il s'était douté que ce pub n'était pas le lieu de rencontre le plus judicieux, mais il n'avait rien osé dire, sur le moment. Et à présent, il faisait comme s'il n'avait pas remarqué le bonjour que Conrad le vieux pilier de bar lui avait lancé à son passage, comme s'ils étaient les meilleurs copains du monde.
Avant qu'il n'ait le temps de faire ou dire quoique ce soit, une pinte de Guinness apparut sur la table devant lui.

- "C'est la maison qui offre," annonça la serveuse qui les avait rejoints.
- "Merci Eve, mais je vais me contenter d'un café, aujourd'hui," souffla Quinn d'un ton plein d'excuse, le rose aux joues et le regard cherchant à se fixer n'importe où sauf en direction de Trixie.

La serveuse récupéra son verre, et son regard passa de Quinn à Trixie, puis de Trixie à Quinn d'un air délicieusement outré.

- "Et Barbie Professeur, elle veut boire quoi ?"

Lorsqu'il vit sa bière lui être confisquée, Quinn fut à deux doigts de revenir sur ses paroles et  demander à la serveuse de la lui laisser, finalement. Mais il n'en fit rien. Il était important qu'il sache se contrôler, malgré le malaise de se retrouver de nouveau face à Trixie, malgré les nouvelles désagréables qu'il aurait probablement à lui apprendre, malgré le fait que le soulagement temporaire du whisky qu'il avait ingurgité avant de venir semblait quasiment disparu. Fort heureusement, ses mains ne tremblaient pas, et il comptait bien mettre cela sur le dos de la caféine si jamais cela venait à changer.

La provocation d'Eve le fit tiquer. Autant il encaissait ses taquineries quotidiennes sans problème, car elles étaient rarement malicieuses (du moins, pensait-il), autant le fait qu'elle parle ainsi à Trixie, qui n'avait rien fait pour mériter ça, le dérangeait vraiment. Mais à la répartie de cette dernière, il se dû se pincer les lèvres pour réprimer un sourire malgré la situation. Eve, quant à elle, se contenta de pousser un rire bref.

- "Je préfère celle-là, elle est plus marrante que l'autre," commenta-t-elle avant de tourner les talons et s'en aller s'occuper de leur commande.

Lorsqu'ils furent de nouveau seuls, en tout cas aussi seuls qu'ils pouvaient se sentir dans un pub rempli d'habitués qui peuplaient l'endroit de l'ouverture à la fermeture, et dont il connaissait chacun d'eux par leurs prénoms, il leva enfin les yeux vers Trixie.

Elle était toujours aussi mignonne. Elle semblait cependant avoir perdu cette petite étincelle qu'il aimait dans son regard azur, celle qui avait toujours réussi à l'égayer même dans les moments les plus sérieux, et il se savait en être le principal responsable. Un atroce sentiment de culpabilité s'empara de lui, car à présent qu'elle se trouvait en face de lui, la solitude dans laquelle il avait dû laisser Trixie, si fragile, si dépendante, lui semblait plus réelle que jamais.

- "Je voudrais que tu saches..." commença-t-il, balbutiant légèrement, "Je voudrais que tu saches qu'il ne se passe pas un jour sans que je ne regrette ce que je t'ai fait."

Il avait dit ces derniers mots dans un souffle, comme s'il n'avait pas vraiment voulu qu'elle l'entende. Peut-être ce aveu était-il une erreur. Sans doute, même.
Ce n'était pas du tout par là qu'il avait voulu commencer, il n'avait aucune l'intention de lui faire croire qu'il avait pris la mauvaise décision -bien qu'il n'en fût lui-même pas sûr, mais il aurait été cruel de faire part de ses doutes à Trixie- mais la culpabilité l'avait emporté sur son raisonnement. S'il avait accepté ce rendez-vous avec elle, c'était principalement pour cette raison : enfin, il allait pouvoir soulager sa conscience et lui formuler les excuses qu'il lui devait.

Lorsque les jolis yeux de Trixie s'embuèrent de larmes, Quinn crut bien qu'il allait s'y mettre lui aussi. Mais fort heureusement, ses yeux restèrent de ce que l'on faisait de plus sec, et il s'efforça de rester impassible face à son ancienne petite amie -quand en réalité, il n'avait qu'une envie : la prendre dans ses bras et s'excuser à  l'infini jusqu'à ce que mort s'en suive.
Par chance, Trixie sembla rapidement reprendre une contenance, et bien vite elle lui demanda des explications. Ca y est, on entrait dans le vif du sujet.

Quinn prit une seconde pour y réfléchir. Qu'aurait-il pu bien dire ? Qu'il n'était qu'un idiot, qu'il avait tout gâché sans réfléchir aux conséquences ? Qu'il n'était qu'un homme, pas mieux que les autres ? C'aurait été un peu trop facile, et lâche comme réponse. Trixie méritait bien mieux que cela.

"Tu sais..." soupira-t-il finalement, après un silence embarrassé. "J'étais à coincé à l'autre bout du monde, quasiment seul avec une fille qui me plaisait, à vivre une expérience vraiment unique et intense. On n'avait aucun moyen de se contacter régulièrement... j'imagine que dans des situations comme celle-là, on perd pied simplement avec la réalité."

Il lança un regard timide vers Trixie. Il ne voulait surtout pas avoir l'air de se trouver d'excuse, ni de parler trop crument, mais c'était la réalité. C'était ainsi que ça c'était passé. Il n'avait jamais voulu que ça arrive, mais il n'avait su empêcher l'inévitable de se produire.

Il poursuivit, d'une voix proche du murmure :

"Avec le recul, c'est évident que c'était la plus grosse erreur que j'ai faite de ma vie. Comme tu vois ça ne m'a mené nulle part..."

Il s'interrompit, car Eve venait de revenir, déposant sa tasse de café devant lui, et une petite théière de porcelaine accompagnée de sa tasse devant Trixie. Il remercia la serveuse d'un simple mouvement de tête.
Par chance, elle s'en alla cette fois sans avoir fait plus de commentaire, et il lui en fut infiniment reconnaissant. Il n'avait pas besoin d'aggraver encore la situation, qui était déjà suffisamment compliquée.

"Trix... Tu étais la première petite amie que j'ai jamais eue. Et ça a duré sept ans... Sept ans, tu te rends compte ? Pendant tout ce temps, en toute honnêteté, tu n'as jamais eu la tentation d'aller voir ailleurs ? Je veux dire, si la situation avait été inversée..."

Il s'arrêta là. Ce plaidoyer n'était pas la direction dans laquelle il avait voulu aller. Jamais il n'avait voulu mettre Trixie dans une situation où c'était à elle de répondre à des questions embarrassantes.
Alors, pour éviter de dire plus de bêtises, il fit mine de se concentrer sur son café, et en but une gorgée. Il ne savait guère si c'était le café où tout le reste, mais la boisson passait avec un goût horriblement amer.

Pendant quelques instants, l'irlandais se pinça l'arrête du nez et ferma les paupières plus fort que nécessaire, comme s'il était pris d'une migraine.
Les questions de Trixie lui allaient droit au cœur, comme elle avait toujours su le faire, mais jamais avant ce jour là ses paroles ne l'avaient blessé. Elle n'y pouvait rien, il savait qu'il n'y avair aucune malice derrière ses paroles et que s'il se sentait jugé et coupable, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même.

Il serait revenu ? Avec la honte, les remords, les reproches qu'il se faisait à lui même qui ne le quittaient jamais, pas même une minute ? Comment aurait-il pu ne serait-ce que songer à revenir auprès de Trixie comme si tout ça ne s'était jamais passé ? Comment aurait-il pu se regarder dans un miroir après avoir abusé de la faiblesse de sa petite amie s'il s'en était tiré aussi facilement ? Comment même imaginer lui glisser une bague de fiançailles au doigt, après tout ça ?
Il valait mieux que Trixie pense qu'il n'était pas revenu car il ne l'aimait plus. Oui, c'était mieux ainsi. Pour tous les deux.

Lorsqu'il releva finalement le regard, intrigué par les petits bruits métalliques que produisait Trixie, il jeta un coup d’œil curieux à la boîte qu'elle avait posée sur la table, mais il était bien plus concentrée sur ses paroles.

Assez inexplicablement, une très légère brise d'espoir vint lui réchauffer l'intérieur du corps aux dernières paroles de la jeune femme.
Malgré la situation, malgré le fait qu'elle n'excluait de toute évidence pas qu'il devrait lui apprendre tôt ou tard qu'il avait une nouvelle petite amie, elle ne le rejettait pas, et rien que ça, c'était inespéré.

Il cacha le sourire qui voulait s'afficher sur ses lèvres en avalant une nouvelle gorgée de son café, reposa doucement la tassedans sa soucoupe, et pris une seconde pour bien choisir ses mots, avant de relever finalement ses prunelles bleues grises vers Trixie.

"Je n'ai aucune intention de t'ignorer non plus, Trix, j'en serais incapable."

Il sembla hésiter un instant puis, se mordant l'intérieur de la joue nerveusement, il tendit la main par dessus la table pour attraper celle de Trixie et la serrer avec douceur.

"Avant d'être...nous... tu étais ma meilleure amie, tu te souviens ? En fait, tu l'as toujours été. Et ça me manque. J'aimerais... Ce que j'aimerais, c'est qu'on se donne une chance de retrouver au moins ça, notre complicité d'avant. Je sais très bien à quel point je t'ai déçue, mais si tu acceptes de me laisser une seconde chance... je te promets que cette fois, je ne te laisserai pas tomber."

Avoir la main de Trixie à nouveau au creux de la sienne, c'était bien une chose que, pas plus tard qu'une heure auparavant, il aurait crue à tout jamais impossible.
Il s'était fait à cette idée, il en avait fait son deuil. Mais à présent qu'il tenait ses doigts fins entre les siens, qu'il sentait sa peau douce comme du velours au contact de la sienne, il n'avait simplement pas la force de la lâcher de nouveau.

Il ne savait pas par quelle chance insolente il était parvenu à s'en tirer à s'y bon compte, mais il voyait là de la part de Trixie un abandon des charges, une porte entre-ouverte pour retourner dans sa vie, d'une façon ou d'une autre. Et cette chance, il comptait bien ne pas la laisser passer.

"Tu as ma parole," répondit-il sans hésiter à la seule et unique demande de Trixie, à savoir une entière honnêteté de sa part.

Il ferait tout ce qu'il pourrait. Il lui dirait tout ce qu'elle désirerait savoir, sans ciller, parce qu'après tout elle le méritait largement. Ou peut-être trierait-il certaines informations. Pour son bien-être à elle, bien sûr.

"Ça va nécessiter quelques aménagements dans mon emploi du temps," dit-il sur le ton de la plaisanterie, en lançant malgré lui un sourire tendre à Trixie, "mais je ferai ce qu'il faut pour que l'on puisse se voir suffisamment et repartir de zéro, je te le promets. Ça en vaut la peine."

Il se rendit compte que non seulement il n'avait pas lâché la main de Trixie, mais il avait en plus commencé à la caresser inconsciemment de son pouce.
Il se mordit l'intérieur de la joue en réalisant cela, et lui lâcha la main à contrecœur avant d'occuper celle-ci avec sa tasse de café.
Alors qu'il en buvait une gorgée brûlante, il jeta un coup d’œil interrogateur sur la boite sortie par Trixie quelques secondes plus tôt.

"Qu'est-ce que c'est ?"