C'était donc ça, St-Barnaby. Ordinaire. Conforme aux attentes fixées, d'ailleurs.

Similaire à son alma-mater, Poudlard, mais avec des étudiants plus âgés, légèrement moins immatures, mais tout aussi inutilement gais. Trop intéressés à créer des liens avec les nouveaux, même ceux-ci n'avaient aucun intérêt à se mêler à eux. L'école en tant que telle était aussi semblable en apparence, un peu moins m'as-tu-vu que son ancien collège, cependant.

Saphyr errait sans but précis dans un corridor du deuxième lorsqu'elle aperçut deux étudiants passer dans une salle d'où émanait le doux chaos des bruits de conversations, de verres s'entrechoquant et de musique. Un pub, ici? Quelle exquise mélodie à ses oreilles!

Poussant les lourdes portes de bois massif, la jeune fille jeta un rapide coup d'oeil aux alentours. Une vaste pièce donnant sur un grand balcon, aux murs comportant d'immenses fenêtres, s'étendait devant elle. D'un côté, un large bar grouillait d'activité, les étudiants tentant d'attirer l'attention d'un barman pour passer leur commande. De l'autre, plusieurs tables offraient un point de rencontre pour bavarder, manger, ou jouer aux cartes. Un énorme foyer se dressait majestueusement au fond de la pièce, projetant sa chaleur réconfortante à travers la pièce. Près des portes donnant sur le balcon, un groupe de musique jouait un succès de l'heure.

* Home sweet home. *, se dit-elle intérieurement en esquissant un sourire.

Saphyr se dirigea directement vers le bar, faisant tambouriner ses Chanel contre le sol de pierre sur son passage.

Aucun tabouret de disponible.
Évidemment.

Elle remarqua le copain d'une fille attablée au comptoir, qui l'embrassait avant de quitter, probablement pour un cours. Aussitôt qu'il passa la porte, Saphyr se dirigea vers sa petite amie et lui tapota l'épaule, la faisant sursauter. D'un ton mielleux, Saphyr l'aborda.

- C'est ton copain, le gars qui vient de partir?
- Oui... Pourquoi?, s'enquérit son interlocutrice d'un ton incertain.
- Ma pauvre... Je viens de le voir se diriger vers le terrain de Quidditch avec une grande blonde, main dans la main., lui sourit-elle avec une fausse compassion.

Bouche bée, elle la toisa du regard, semblant s'attendre à l'admission d'une mauvaise blague, mais en vain. En un temps record, la jeune fille balança quelques pièces sur le comptoir, de quoi payer sa consommation et le pourboire du barman, puis s'élança vers la porte, en direction du terrain de sport.

Satisfaite, Saphyr gagna le tabouret nouvellement libre, puis sortit son porte-feuille de son sac. Elle jeta négligemment quelques pièces d'or sur le comptoir, et claqua des doigts à l'endroit de l'employé.

- Un verre de votre meilleur whisky, on the rocks.

La sorcière s'étira langoureusement, satisfaite de sa victoire.

* Il était temps qu'elle se casse, j'avais oublié à quel point il est bon de s'asseoir quand on porte des talons aussi hauts.*

Tout juste comme elle portait son verre à ses lèvres, Saphyr fut brusquement interrompue par une voix masculine provenant de sa droite.

«C’est absolument vil. Vachement malin, audacieux et efficace, mais pas moins vil...», commenta son voisin d'un air mi-amusé, mi-incrédule.

Intéressant spécimen. Beaucoup plus grand que la moyenne, à la fois imposant sans être trop costaud, sa carrure solide commandait une certaine autorité en vous toisant. Brun aux yeux azurés, armé d'un sourire tout de même assez séduisant, il entamait à peine un bon vieux whisky gallois.

Pas mal.

Désignant d'un coup d'oeil les talons aiguilles qu'elle portait, il s'enquérit: « C'est leur faute? » en lui décochant une fois de plus un sourire charmeur.

Passant une main dans sa longue chevelure d'encre, Saphyr lui rendit son sourire en répliquant: «Effectivement. Mademoiselle Chanel semblait avoir autre chose que le confort en tête lorsqu'elle a créé sa dernière collection.» Trempant ses lèvres dans le doux nectar que contenait son verre, elle ferma les yeux quelques secondes, appréciant la doucereuse brûlure que lui procurait le spiritueux en l'avalant. Paradisiaque.

Restituant son intérêt à la conversation entamée, elle reporta son regard vers le grand brun, passant lentement son doigt en cercles sur le rebord de son verre.

«Et puis, certains pourraient qualifier ça de vil, comme vous dites. Personnellement, je préfère dire stratégique. », ajouta-t-elle avec un sourire en coin.

L'homme au whisky sembla amusé par la réplique de la jeune Anglaise. Étonnamment, il parvenait à soutenir son regard incessamment, chose que peu de gens semblaient faire habituellement. On lui avait souvent mentionné qu'elle possédait un regard intimidant, donnant l'impression de jauger, analyser, et décortiquer son interlocuteur. Toutefois, le grand brun assis à ses côtés ne semblait pas perturbé le moins du monde, se mouvant avec fluidité entre leur conversation et son verre reposant sur le riche comptoir en bois massif. Intriguant.

Avalant une gorgée de whisky, il ajouta: «La frontière entre la stratégie et le malice peut être bien mince. »

*«Ce n'est du malice que lorsqu'on se retrouve en position du perdant, s'il veut mon avis. Autrement, ce n'est qu'une tactique nous permettant une victoire.»*, se dit-elle intérieurement.

Tout comme elle achevait sa pensée, l'inconnu lui saisit la main d'une poigne solide, telle que l'on aurait espérée voir chez un homme d'une carrure aussi considérable. Quelque peu ahurie par la chaleur qui se dégageait de sa peau, elle n'en détourna pas moins les yeux, continuant de soutenir le regard de son interlocuteur, comme si un challenge non-dit avait été lancé et où le perdant serait celui se laissant intimider le premier.

«Ian Bale, enchanté. Et je m’adresse à Miss…?», s'enquérit-il avec un sourire craquant.

Décochant son sourire charmeur, elle murmura à son endroit: «Saphyr Jones. Enchantée, Monsieur Bale.»

Sortant son paquet de Benson&Hedges Pure Gold, elle posta une cigarette entre ses lèvres et l'alluma après avoir fait glisser le paquet doré de quelques centimètres sur le comptoir en guise d'offre à son interlocuteur.

«Si je ne m'abuse, c'est un léger accent gallois que je crois pouvoir me permettre de vous attribuer?», interrogea-t-elle, reportant son regard vers lui.

La lueur d'un sourire espiègle illumina brièvement le visage de Saphyr lorsqu'elle aperçut l'ombre d'embarras transperçant l'expression de son interlocuteur. Elle mourait de curiosité quant à savoir ce qui venait de lui traverser l'esprit, et elle n'arrivait pas à cerner quoi que ce soit derrière ce regard dont elle peinait à se détacher. Cependant, elle était certaine d'une chose: Ian avait largement apprécié la distraction que lui avait procurée son paquet de Benson&Hedges.

S'inclinant furtivement vers lui lorsqu'il lui présenta son briquet, elle inspira légèrement alors qu'il allumait sa cigarette, captant au passage une effluve de son after-shave. Ensorcelant. Absolument étourdissant. Pas qu'elle le laisserait paraître, ce serait faible de sa part. Cependant, elle pouvait se permettre le fantasme d'imaginer ses lèvres voluptueuses aller effleurer son cou, lui chuchotant au passage quelques obscénités qui lui faisaient bien envie au moment présent, ses mains explorant ce qui se cachait sous cette chemise, le tout en inhalant plus de cette irrésistible odeur masculine. Humectant ses lèvres, la londonienne crut bon de se remettre les idées en place avec une gorgée de whisky, dissimulant ses idées dépravées derrière son sourire charmeur.

Croisant à nouveau son regard, elle comprit instantanément que leur challenge non-dit passait au deuxième round. Aucun problème. Elle avait amplement l'expérience, ayant répété le processus avec des centaines d'hommes auparavant, dans des circonstances identiques. Bien que paraissant enfantin, l'enjeu était plus important qu'on le ne croyait. Affirmativement, Saphyr était convaincue que cette expérience déterminait l'alpha entre deux interlocuteurs; soit, le dernier à éviter le regard de l'autre. Invariablement, elle ne laissait jamais un homme la mettre au second plan. Temps de passer à l'attaque.

Tirant une bouffée de sa cigarette, Saphyr se redressit sur son tabouret, s'orientant légèrement en direction de son interlocuteur et croisa les jambes, lui frôlant légèrement le mollet au passage.

«C’est bien la première fois que l’on définit mon accent comme étant léger, mais j’veux bien le prendre. Vous avez une bonne oreille, miss Jones. Je déduis du vôtre que vous êtes Anglaise?», s'enquérit-il, visiblement impassible.

Elle hocha la tête, en rajoutant un simple: «Londres.»

*Maintenant, je suis curieuse de savoir si deviner la provenance des gens est ton seul talent, mon chou...*, se dit-elle intérieurement en dissimulant son sourire derrière une gorgée de spiritueux.

«C’est trop audacieux de ma part de demander votre âge et votre domaine d’études? Et si par la même occasion vous voulez me dire s’il y a quelqu’un dans votre vie, ça serait bien apprécié.», poursuivit-il.

Saphyr songea dans un élan de sarcasme à lui balancer ses cartes d'identité afin qu'il puisse répondre lui-même à ses questions, mais passa outre. Bien qu'il lui plaisait de jouer les gens avec son côté plus narquois, elle avait envie de demeurer plus posée pour l'instant avec ce Ian Bale. Sans nécessairement être sage, elle n'avait pas le désir de le repousser immédiatement. Dégageant son visage d'une mèche de cheveux d'un discret coup de tête, elle garda son regard vissé au sien.

«Il est effectivement entreprenant de demander l'âge d'une demoiselle», reprocha-t-elle d'un air espiègle avant de poursuivre. «J'ai eu 25 ans hier, en fait, le 22. Je suis en première année de Litriù, tout juste à découvrir les plaisirs qu'a à m'offrir St-Barnaby», ajouta-elle d'un air entendu.

Portant sa cigarette à ses lèvres, elle tira une bouffée. Elle décida que les petits jeux avaient assez duré. Temps de montrer à son adversaire comment s'y prenait une pro. Libérant d'une main les cheveux obstruant son décolleté, elle lui décocha un regard enjôleur en se penchant à son endroit, posant une main sur le genou de son interlocuteur. Leurs regards demeuraient entrelacés avec un acharnement admirable.

«Pour ce qui est de savoir si j'ai quelqu'un en vue présentement, je peux vous dire que ma réponse vient de changer drastiquement de celle que je vous aurais donnée il y a une quinzaine de minutes, en franchissant les portes derrière nous.»

Saphyr se mordit doucement la lèvre. Boum. Comme une pro.

Sentant les doigts du grand Gallois s'entremêler aux siens, Saphyr se complut au contact de sa peau. Quelque peu rugueuse, sans toutefois trop l'être, elle témoignait fort probablement d'un homme n'ayant pas peur du travail manuel, ce qui expliquait sûrement sa carrure. Cependant, elle fut légèrement choquée de la chaleur que celle-ci dégageait. C'était à la fois inattendu et rassurant.

Fière de la réplique qu'elle venait de lui balancer, l'Anglaise se vit stupéfaite lorsqu'il entra dans son jeu, lui répondant du tac-au-tac: «C’est vrai que le barman n’est pas moche. Mais si vous m’en donnez l’opportunité, je crois bien être capable de vous faire changer d’avis.» Employant un ton charmeur, idem au sien quelques instants plus tôt, elle réalisa qu'elle n'avait pas affaire au même genre d'homme avec qui elle rentrait habituellement.

Celui-ci avait visiblement comprit son jeu. Il y avait manifestement joué à maintes reprises auparavant, séduisant des centaines de femmes avant elle, de la même manière qu'elle le faisait avec le sexe opposé.

Un habitué.

Intéressant.

Elle se contenta de sourire brièvement, soutenant sans relâche le regard céruléen de son adversaire. Il fallait l'avouer, rivaliser contre quelqu'un qui savait pertinemment ce qui se passait avait un attrait qu'elle n'avait jamais perçu auparavant. Le challenge était plus risqué, plus scabreux, plus stratégique.

Il lui décocha un clin d'oeil discret. Il avait beau être un adversaire de taille, mais putain ce qu'il était séduisant.

La brune tira une dernière bouffée sur sa clope, puis écrasa le mégot dans un cendrier traînant devant eux. Elle expira la dernière once de fumée captive entre ses lèvres, avant de prendre une dernière gorgée de whisky.

Avec regret, elle sentit Ian détacher ses doigts de leur étreinte. Il les fit courir habilement sur sa peau, le long de son avant-bras. Se rapprochant doucement, comme pour confier un secret, il lui chuchota à la dérobée: «I bet liquor and nicotine taste divine, taken from your lips.»

Audacieuse, Saphyr resserra la distance entre eux. D'un regard aguicheur, elle fit courir ses doigts fins le long des boutons de chemise de son rival. Se rapprochant encore plus, elle frôla ses lèvres contre sa joue en lui murmurant à son tour:

«It would be a shame to simply bet rather than actually try it out and judge for ourselves, don't you think, Ian? *»

Spoiler:

Écrasant le mégot de cigarette qu'il tenait entre ses doigts, Ian sourit d'un air amusé à la répartie de la Londonienne. Tournant son visage vers elle, il susurra mielleusement alors que leur lèvres s'effleurèrent de manière aguichante:

« You’d love that, wouldn’t you?»

Absolutely.
Définitivement.
Rien ne lui paraissait plus tentant à l'instant immédiat.

Saphyr se redressa de quelques millimètres, dépitée à l'idée de s'éloigner de ce corps si masculin, si viril, si attirant. Se mordant la lèvre en retenant la réponse crue à cette question rhétorique, elle retint de justesse un soubresaut lorsque la peau du Gallois entra à nouveau en contact avec la sienne. Grisée par la chaleur de la main d'Ian, elle la sentit parcourir son épaule, traçant son chemin brûlant jusqu'à sa nuque. Sa poigne ferme traduisait une envie avec un mélange d'audace et de détermination. Un véritable aphrodisiaque.

Évaporant la maigre distance les séparant encore, il combla son silence d'un délicat baiser. Court, efficace, d'une stratégie quasi-militaire, il n'en demeurait pas moins terriblement étourdissant.

Ian : 1 - Saphyr : 0.

La foule du Sor-thé-lège paraissait à des milliers de kilomètres d'eux.

Se redressant légèrement, Ian lui souffla d'un ton quasi-défiant: «I’m not ready to beg yet. And I hope you aren’t either.»

Not yet.
Tant qu'à jouer contre un adversaire aussi intéressant, aussi bien jouer le plus longtemps possible. Surtout qu'il avait déjà une avance sur elle.

Souriant malicieusement, elle lui relança en se redressant sur son tabouret:

«I never beg. I command. Now let's get outta here.»