Dimanche, 28 Aout 1978

Il est présentement deux heures du matin, et je viens définitivement de vivre l'un des moments les plus importants de ma vie. C'est le dernier week-end avant le retour en classe et j'ai réussi à atteindre le but que je m'étais posée avant mes vacances. Mon esprit est à présent complètement fermé aux potentiels envahisseurs. Des mois, voire des années de travail portent à présent leur fruit en moi; mon don est complet et ne cherche plus qu'à s'épanouir. Avec cette maîtrise de l'Occlumencie, couplée à ma connaissance maintenant avancée de la Légilimencie, je sens que d'autres voies s'ouvrent à moi. Des voies qui m'ont toujours fascinées... De façon peut-être un peu malsaine, je le conscens, mais il y en a bien d'autres avant moi qui ont parcours ces chemins. D'autres que j'admire. Un jour, ce sera moi que les gens admireront.

J'ai toujours su que Vincent était un homme doté d'incroyables ressources. Je sais tout de lui, en fait, et il le sait. Mais jamais il n'a osé encore me parler des rites les plus anciens de nos croyances. Je pense qu'il a peur que ça m'intéresse trop, mais c'est trop tard. Ici, la magie circule partout, elle me possède jusqu'au sang, juqu'aux tempes, jusqu'au ventre. Elle est si forte qu'elle a déjà commencé à me consumer.  Elle m'a prise la main, cette noirceur que j'enlace, elle me tire lentement vers l'abysse et j'ai envie d'y être.  Je méprise déjà les gens autour de moi, presque tous et chacun, et je sais que si je continue dans ce chemin, ils ne me seront plus aussi utiles. Leur présence ignorante m'importune. Idyo*. Bientôt, il ne m'importera plus que leurs coeurs battent ou s'éteignent.

La prochaine fois que je rentre à la maison, je demanderai à Vincent. Ou je trouverai moi-même les informations dont j'ai besoin pour entreprendre cet apprentissage que m'élevera bien au dessus du monde des vivants.

Benediksyon ou ye menm, manman Brigitte. *

Lundi, 5 Septembre 1978

Je suis à présent de retour à St-Barnaby, depuis à peine quelques heures. Rien n'a changé, vraiment. De nouveaux visages. Mais la plupart d'entre eux n'ont déjà presque plus aucun secret pour moi. Il y a quelque chose de profondément excitant à savoir que je peux infilter, pénétrer l'esprit de gens qui ne connaissent même pas mon nom ni d'où je viens. C'est voyeur et pervers. Ça a tout pour me plaire. Et les gens que je connais déjà me sont encore plus connus. Mais malgré l'excitation viscérale que ça me procure encore, on dirait que ça n'est pas suffisant. Pas que je n'y prends pas plaisir. Mais maintenant, je sais qu'il y a quelque chose de plus pour moi.  Quelque chose de plus grand, de plus fort, de plus spirituel. Elle me parle, Maman, dans mes rêves. Je sais ce que je dois faire.

Heureusement, j'ai les ressources ici pour continuer mon entrainement spirituel. Les serres sont bien fournies de certaines plantes qui me sont nécéssaires et la bibliothèque est pleine à craquer d'ouvrages de magie noire. En plus de tout cela, Vincent a pris le soin de me laisser des parchemins ancestraux de notre  culte. Ainsi, je peux continuer entre mes visites en Nouvelle-Orléans. Bien entendu, je n'arriverai à rien de concret tant que je ne passe pas par les rites, avec mes frères et soeurs. Il faudra que je parte de temps en temps, mais je saurais justifier mes courtes absences, comme tous les autres peuvent le faire. Seulement mes raisons sont bien plus nobles.

Un jour, plus personne n'aura de secret pour moi. Ni les vivants, ni les morts. Tous connaîtrons ma force et mon pouvoir. Tous subirons.

Benediksyon ou ye menm, manman Brigitte.

Mardi, 17 Janvier 1979

Je rentre tout juste d’un week-end allongé à la maison. Normalement, je ne prends pas forcément la peine d’écrire ici. L’apprentissage se faisait de façon lente, progressive et constante. Surtout, jusqu’à ce samedi, ça s’était limité à un apprentissage technique. Des cercles de prière, de la lecture, même que Vincent a passé plusieurs heures avec à moi à m’enseigner les rudiments de cet art que je veux apprendre depuis de nombreuses années maintenant.  Mais tout a changé, et il n’est plus question de revenir en arrière. Je ne veux pas revenir en arrière, de toute façon.

On m’a demandé d’être seule, au milieu du cercle de sel. Autour de moi, on chantait, on jouait des tambours. L’air de la nuit était frais, comme il était rare de le vivre en Nouvelle-Orléans. Le bourbon avait coulé à flots, mais mon esprit été totalement lucide, éveillé et surtout, j’étais prête. J’étais tellement prête. Je m’étais jointe aux chants et à la danse, possédée par quelque chose que je connaissais, une énergie qui ne me faisait plus peur, qui me rendait, au contraire, tellement forte. Je la sentais du dessus de ma tête jusqu’au bout de mes doigts, cette force, cette magie. Et les chants devenaient plus fort, et le petit cadavre qui reposait à mes pieds  semblait retrouver des couleurs. Je lui transmettais ma vie, ma force.

Son poil reluisait, une maigre chair reprenait place sous sa peau, sa longue queue redevenait touffue et fournie.

Je me suis évanouie lorsque l’écureuil a ouvert les yeux.
J’ai réussi. J’ai réanimé un être décédé.


Benediksyon ou ye menm, manman Brigitte.

Plus d’un an s’est écoulé depuis ma dernière entrée dans ce journal. Plus d’un an depuis que j’ai réellement ressenti le besoin d’exprimer mes pensées sur papier. Et il faut que j’admette qu’en me relisant, je comprends pourquoi ; les choses ont tellement changé depuis l’an dernier. Ma perspective sur le monde, ma vie personnelle, mes ambitions… Je suis encore la même jeune femme vive de désirs, assoiffée de savoir.

Seulement, j’ai atteint un mur. J’ai peur. Cette crainte n’était pas là avant. Je n’avais jamais eu peur, avant. Des craintes, certes, mais pas peur. Une peur terrifiante, paralysante, handicapante. Une peur nourrie par le doute. Par l’idée que j’ai peut-être franchi la frontière de ce qui devait être. Par la sensation que maintenant, j’ai peut-être quelque chose de vrai et de beau à perdre. Un entourage, un homme que j’aime. Ma propre santé mentale, mon propre équilibre moral. Toutes des choses que je n’avais pas avant, qui se sont offertes à moi dans la dernière année. Et je me suis tellement poussée durant mon apprentissage du vaudou et de la nécromancie que maintenant, c’est le pouvoir qui me gruge. J’en ai trop, je ne pensais jamais l’admettre ainsi avant, mais je suis trop puissante pour mon propre bien. Les échappatoires sains se font minces et rares. Ma performance dans mes cours est stellaire, j’essaie d’y mettre la plus grande partie de cette énergie magique monstrueuse. Mais la plupart du temps, ça n’est pas suffisant; je lis les gens, fouille leurs pensées à leur insu, les note presque obsessivement dans mon esprit. Et on pourrait croire que c’est suffisant, qu’au bout d’une semaine, je serais épuisée. Mais non. Toujours pas. La magie me sort du bout des doigts, m’enivre la tête.

Alors l’instinct assourdit tout. Me tire jusqu’à la forêt, me fait chercher des carcasses d’animaux morts comme si j’étais un rapace. Puis pour quelques minutes, je suis Dieu. Je suis toute-puissante. Créatrice, destructrice, je donne la vie et la reprend jusqu’à ce que mes membres s’alourdissent. Et ce n’est qu’à ce moment-là que je suis fatiguée, que je rampe presque jusqu’à mon lit. Mais ça ne s’arrête jamais là. Ça serait trop facile. Mes rêves sont tapissés de chimères cauchemardesques. Et au réveil, c’est le même cycle qui recommence, s’étendant sur une dizaine de jours, éternel recommencement.

Je ne peux plus le garder pour moi-même. Mais la seule personne en qui j’ai suffisamment foi pour m’y confier, c’est la personne que j’ai le plus peur de perdre. Celui qui en sait déjà bien plus que tous les autres. J’ai besoin qu’il sache. Pour lui, pour moi, pour nous.

Je lui ai donné rendez-vous demain soir, dans la clairière de la forêt. J’ai déjà trouvé un cadavre, un cerf, je crois. Je ne peux pas attendre plus longtemps. Avant que tout ceci m’échappe et que je perde contrôle.

Mwen lapriyè ou, manman Brigitte.
Mwen pa la pèdi’l.*