La pluie. La nuit. La fraîcheur. C'était exactement tout ce qu'il aimait.
Il aurait pu rentrer à l'université en transplanant, pour s'éviter de se retrouver ainsi : la chevelure perlée d'eau et lui collant au visage, son long duffle coat gris et son écharpe noire et rouge à l'effigie des Bats scintillants de gouttes de pluie, ses derby en daim et le bas de son jean mouchetés de la terre humide du chemin.

Il avait préféré marcher, cela lui ferait du bien.
Il n'était pas tard, et pourtant, l'on pouvait distinguer en y prêtant attention, que le Nord Irlandais avait le pas quelque peu titubant.

Il faut dire qu'il y était depuis la fin de l'après midi.
Au départ, il ne s'agissait que de s'en jeter une petite ou deux avec de deux ses camarades de dortoir et amis. Harold, Finn et lui-même avaient décidé de sortir à la Banshee après leurs derniers cours de la journée, histoire de se détendre, de sortir un peu du contexte de l'université. Et puis les garçons étaient rentrés, mais Quinn avait décidé de rester un peu.
Il s'y sentait bien, à la Banshee. Il aimait le café étudiant aussi, mais ce n'était pas pareil. Toutes les villes du monde avaient leur propre Banshee. Ou que vous alliez, vous le trouverez toujours, ce lieu un peu hors de la réalité, mais où vous ne pourrez jamais capter ailleurs aussi bien l'humanité à l'état brut. La foule qui se mélange, les rencontres qui se font, parfois imprévues, les rires perçant le  cocon du brouhaha, la musique qui, insidieusement, unit de parfaits étrangers au rythme de ses pulsations, et l'alcool, toujours l'alcool, qui coule sans s'arrêter, vous asséchant le cerveau et vous enflammant les veines, et vous en redemandez, car dans ce lieu d'humanité, il vous est permis de montrer aussi bien tout le pire que le meilleur de vous-même.

Bon client, il avait commandé un autre verre à chaque fois qu'Eve le lui proposait. Rapidement, il avait perdu la capacité de se rendre compte que la serveuse du pub le poussait éhontément à la consommation, mais en tout honnêteté, ça lui était égal.
Sa soirée, il l'avait passée à discuter avec des inconnus, avec Conrad le pilier de comptoir  graveleux qui semblait ne jamais dévisser son vieux derrière osseux de son tabouret fétiche, à s'emplir le gosier du délicieux liquide amer de la bière, à ne penser à rien de sérieux, à se sentir bercé par le son de la musique folk que l'on jouait ce soir-là dans le pub, à se laisser vivre, tout simplement.

A un moment donné, il avait bien fallu que la réalité le rattrape. Demain matin, il avait cours de bonne heure. De plus, son mémoire n'allait pas s'écrire tout seul, et il tentait de se tenir rigoureusement à un minimum d'une heure par jour consacrée uniquement à cela.
C'est donc avec la partie encore raisonnable de sa conscience comme moteur qu'il avait franchi, le pas chancelant, la porte de la Banshee, et s'était mis en marche sans se presser vers l'université.

Les vents marins parvenant jusqu'à lui, lui faisaient le plus grand bien. Il lui semblait reprendre peu à peu le plein contrôle de ses capacités motrices. La fatigue semblait rendre plus éclatant le bleu de ses iris.
Ce ne fut qu'en passant à quelques mètres d'elle, prolongeant volontairement sa route à travers les arbres, qu'il la remarqua.
Tout d'abord, avec ses cheveux bruns ondulés par la pluie, il l'avait prise pour Cassie. Il faut dire qu'il faisait sombre, que les branches basses de l'arbre auquel elle était adossée la cachaient un peu, par intermittence avec les aléas du vent. Et oui, c'est vrai, sa vision à lui était quelque peu embrumée.
Il s'était approché d'elle, avec le sourire de celui qui est réellement content de vous voir accroché aux lèvres, avant de se rendre compte qu'il s'était trompé sur la personne.

C'était Paxton, la nouvelle. Enfin, nouvelle. Il n'avait pas fallu longtemps pour que tout le monde à l'université se fasse un avis plus ou moins juste sur elle. Sans doute le fait d'avoir envoyé l'un de ses camarades de fac droit à l'infirmerie dans un état effroyable avait-il contribué à sa réputation, mais passons.

Effroyable, c'était un peu l'air qu'elle avait, d'ailleurs. Elle était diaphane comme la lune sa nuit la plus pâle. Elle avait des cernes monstrueuses, et ses yeux brillaient fiévreusement.
Il continua alors à s'approcher, mais avec précaution cette fois, comme s'il ne voulait pas effaroucher un petit animal sauvage. Surtout, il ne voulait pas envahir son espace personnel sans y avoir été explicitement ou implicitement invité.

"Est-ce que tout va bien ?" demanda-t-il simplement, du ton le plus paisible qu'il lui était possible d'offrir, et avec tout le sérieux que son ébriété lui permettait d'afficher.

Si les narcotiques servaient généralement d’analgésiques pour la douleur, ce n’était certainement pas pour cette propriété que Paxton Jones les aimait. C’était pour la petite euphorie, suivie d’un calme incomparable. Pour l’insensibilité générale que ça amenait. Elle adorait le moment de répit, la possibilité de simplement se laisser aller dans les effets de la drogue. C’était son vice.

Sa tête reposant contre le tronc, les yeux levés vers les feuilles de l’arbre, la demoiselle ne faisait qu’attendre la sensation agréable qu’elle savait que le comprimé allait lui amener. Ça prenait quand même quelques instants, ce n’était certainement pas aussi rapide que d’autres drogues, mais elle pouvait faire avec. La nausée s’était peu à peu dissipée et il ne lui restait que ce sentiment étrange de fragilité dans son estomac. Bref, elle avait l’impression qu’elle pouvait régurgiter n’importe quand. Elle ne savait pas trop ce qu’elle pourrait bien rendre, ce n’était pas comme si elle avait quelque chose dans le ventre. C’était tout de même mieux de rester tranquille et de ne pas trop s’énerver.

La pluie continuait toujours et s’il elle n’y avait pas été habituée, elle aurait peut-être déprimé. Heureusement, l’eau ne la dérangeait pas. Elle pianota sur ses genoux, ceux-ci repliés contre sa poitrine, en se demandant si elle allait devoir passer la nuit dehors. Et si elle était vraiment malade et qu’elle ne se sentait jamais mieux…? Et si elle faisait face à une faiblesse, qui la laissait inconsciente juste là, dans le parc…? Pfff… Elle se reprit, se rappelant qu’elle n’était tout de même pas aussi délicate et que ça en prendrait plus pour l’abattre. Après tout, elle avait bien survécu jusqu’à maintenant et ce n’était certainement pas la pire situation qu’elle ait connue. Un soupir franchit ses lèvres alors qu’elle constata se sentir un peu fiévreuse. Enfin, ce n’était qu’une impression, ça n’avait rien d’alarmant.

Si elle avait été nerveuse, le bruit plutôt léger de pas dans l’herbe aurait pu la rendre encore plus nerveuse. Seulement, elle n’était pas du tout nerveuse et même qu’elle se sentait de plus en plus molle, insouciante. Ça venait… Sa langue se glissa sur ses lèvres déjà humides, alors que ses yeux se perdirent un peu sur les feuilles de l’arbre, bougeant un peu d’un côté puis de l’autre. Enfin, elle y était. Le calme parfait. Sa satisfaction fût cependant de courte durée, parce que presque aussitôt sur le point de refermer les yeux et se laisser engloutir par les effets de l’analgésique, une voix se fit entendre tout près. Juste là, en fait. Comment est-ce qu’elle avait pu manquer l’apparition du jeune homme dans son champ de vision…?

Elle prit délibérément son temps pour donner une réponse. De toute manière, elle tentait toujours de deviner d’où venait le mec et pourquoi il était là. Pourquoi il était sous son arbre? Ce n’était pas assez évident que cet endroit était occupé? Il était attardé, peut-être. Ça n’aurait pas été si étonnant s’il était un des étudiants de cette fac. Ou sinon, il faisait parti des « gentilles personnes ». Les soucieux. Ceux s’inquiétant des autres. Eurg, vraiment très peu pour elle. Toutefois, elle n’avait pas la cervelle suffisamment éveillée pour formuler une des ses répliques cinglantes habituelle. Et de toute manière, elle ne le connaissait pas. On ne donne des répliques cinglantes seulement que lorsqu’on est en mesure de se défendre. Et présentement, ce n’était pas le cas. Autant au niveau de sa tête qu’au niveau physique. Si elle s’était sentie faible plus tôt dans la journée, ça n’avait fait que s’empirer dans la soirée et même si la drogue la faisait sentir bien, ça ne pouvait pas tout régler. Ce n’était quand même pas de la cocaïne qu’elle avait prit. Elle lui lança, sa voix manquant de son mordant normal :

« Qu’est-ce que tu veux? T’es sous mon arbre. »

Bon, il allait comprendre qu’il devait faire du vent, hm? C’était clair, non? Elle se détestait ainsi. Et elle le détestait lui aussi. Il lui ruinait son moment de détente sous influence. Pas entièrement, mais quand même. Elle était toujours aussi détendue, mais maintenant, elle devait se creuser la tête pour penser à dire des choses intelligentes. L’idée qu’elle ait même ignoré la question du mec ne la dérangeait même pas. Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire que tout aille bien? Il ne la connaissait même pas.

Ses pensées n’eurent pas le temps de dériver beaucoup plus avant qu’elle ne fronce les sourcils et vienne poser sa main devant sa bouche. Non, non, non, non, elle ne pouvait pas être malade devant quelqu’un. Quelques secondes à essayer de calmer la tempête dans son estomac et finalement, elle due s’avouer vaincue. Elle eu le temps de se redresser sur ses genoux, exactement comme si elle avait voulue se relever, puis de poser ses mains sur le sol, en se tournant un peu vers le côté (elle n’aimait pas les gens, mais elle n’allait tout de même pas lui vomir sur les souliers, consciemment), avant de restituer le peu se trouvant dans son estomac. C’que c’était humiliant… Ce fut bref, elle vint s’essuyer les lèvres du dos de sa main tremblante, avant de s’éloigner un peu, sans se redresser encore. Elle doutait fortement être en mesure de se tenir debout présentement. L’Anglaise se retrouva à genoux, la tête toujours penchée, puis elle releva les yeux vers l’étranger, lui lançant un regard noir entre les mèches rebelles étant tombées devant ses yeux verts. Elle était en colère. Ou du moins, elle se forçait pour être en colère. La drogue l’empêchait un peu de naturellement se sentir ainsi, dans le moment.

Ses yeux d’émeraudes restèrent posés sur lui un moment, jusqu’à ce qu’elle revienne s’adosser au tronc de l’arbre. Elle voulait vraiment juste disparaître, se réveiller dans son lit ou même, seule au-dessus du bol de la toilette. Être malade ne la dérangeait pas tant, mais devant quelqu’un… Aussi bien mourir.

De toute évidence, non, ça n'allait pas. Même avec son taux d'alcoolémie susceptible d'altérer drastiquement son jugement, il n'y avait pas de doute possible. La pauvre jeune femme avait l'air au bord du malaise.
Il s'était plus ou moins attendu à se faire rejeter ; Paxton Jones n'était pas réputée pour son immense sociabilité. Mais le jour où Quinn laisserait sur le carreau une personne visiblement dans le besoin, sans au moins lui proposer son aide, n'était pas encore venu.

Lorsque la jeune femme répondit à sa question par une autre question, levant les yeux comme pour contempler le grand arbre large et sinueux, au moins octogénaire et que l'hiver avait dépourvu de presque toutes ses feuilles, il ne put s'en empêcher :

"Hé, c'est l'arbre le plus sympa de tout le parc, j'espérais pouvoir en profiter un peu moi aussi," se risqua-t-il à plaisanter, un sourire malicieux étirant subtilement le coin de sa lèvre, creusant une petite fossette dans sa joue.

Oui, bon. Il savait d'avance que sa plaisanterie allait faire un flop, de toute façon.
Les lèvres pincées, il enfonça les mains au fond des poches de son manteau et son cou dans ses épaules, dans une tentative d'empêcher les gouttes de pluie glacées qui s'écoulaient des branches de lui tomber sous l'écharpe.
De toute évidence, la jeune femme ne voulait pas de lui dans son espace personnel, sous son arbre.

Il ne partit cependant pas tout de suite, son cerveau déshydraté par l'alcool rendant le connexion entre la pensée et l'action considérablement plus lente.
A la place, il restait planté là à se demander quoi faire, se sentant à la fois désolé pour la jeune femme qui devait probablement couvrir une bonne grippe, et désolé d'être là pour en être témoin, alors que toute personne sensée, asociale ou pas, préfèrerait probablement qu'on la laisse tranquille.
D'ailleurs, il était sur le point de finalement rebrousser chemin lorsque Paxton donna raison à ses inquiétudes, se plaçant à quatre pattes pour régurgiter dans les feuilles mortes.

Ce n'était pas la première fois qu'il voyait quelqu'un rendre. Quand on était fêtard comme lui, on avait déjà accompagné un paquet de gens aux toilettes pour les soutenir moralement et physiquement, tout en se moquant gentiment d'eux, on avait l'habitude de leur apporter une bassine et un bon verre d'eau, quand on était pas soi-même l'imbécile qui s'était rendu malade tout seul. Ce n'était vraiment plus une chose qui pouvait l'émouvoir.

Pourtant, son propre organisme étant largement sensibilisé par tout l'alcool qu'il avait pu ingérer ce soir là, il se vit obligé de détourner vivement la tête, et portant son poing contre sa bouche aux lèvres scellées, il somatisa le goût de la bile et de l'alcool sur sa langue, par pur réflexe. Mais il parvint à se ressaisir rapidement.

La pauvre Paxton était toujours à quatre pattes sur la terre mouillée, et le fait de rester planté là, aussi inutile qu'une plante décorative en plastique, le dérangeait fortement.
Il s'approcha alors de la jeune femme et s'accroupit près d'elle. Il attrapa d'une main sa chevelure brune pour lui en dégager le visage, mais très vite, le regard émeraude et féroce de la jeune femme lui fit comprendre qu'il n'était pas le bienvenu.

Il se contenta alors de rouler d'un mouvement de poignet les cheveux de la Ceart en une torsade, qu'il déposa délicatement sur sa nuque. Au moins, elle ne se vomirait pas dans les cheveux si elle était prise d'une nouvelle crise.
Il se recula d'un pas et se redressa, mais pas totalement, juste assez pour que sa main arrive à une distance respectable du visage de Paxton lorsqu'il la lui tendit, l'invitant à la prendre pour se relever.

"Il faut que tu ailles à l'infirmerie. On va te perdre si tu restes ici dans cet état."

Le son de la pluie qui s'égouttait doucement des branches de l'arbre, pour venir mourir dans un tambourinement lent et délicat sur les feuilles mortes , avait quelque chose d'apaisant.
La fraîcheur de la nuit de novembre qui l'enveloppait, lui chauffait le bout du nez et des doigts, avait toujours eu sur lui un effet confortant, comme quelque chose de familier qui vous fait vous sentir protégé.
Même la voûte nuageuse du ciel qui s'alourdissait à vue d'oeil, apportant son lot de cumulunimbus noirs et menaçants ne pouvait pas l'inquiéter.

En fait, si l'on omettait l'étau qui semblait vouloir lui écraser la boite crânienne pour le punir de son excès de boisson, et qui rendait son équilibre incertain alors qu'il se trouvait penché là, la main tendue en direction de Paxton, il se sentait plutôt bien.

Cependant, lorsque celle-ci l'envoya promener avec plus ou moins de conviction, bien qu'il s'était un peu attendu à cette réaction, il faut bien avouer qu'il se sentit vaguement blessé. "Sauver les demoiselles en détresse", ce n'était pas son créneau, et il n'avait jamais eu une telle prétention. Il se trouvait simplement par hasard au même endroit qu'elle, à l'instant T où elle s'avérait avoir de toute évidence besoin d'assistance.
Mais si elle ne voulait pas de la sienne, il l'acceptait volontiers, et il n'avait aucune l'intention d'insister.

Il se contenta alors d'acquiescer aux paroles de la jeune femme d'un léger mouvement de tête, avec un discret sourire qui se voulait poli, et il se recula à nouveau, cette fois franchement.
Il était sur le point de s'en aller lorsqu'il sentit quelque chose se frotter contre ses chevilles.

Le jeune chat tigré qu'il était habituel de voir suivre se maîtresse partout était venu se glisser entre ses jambes, lui caressant les mollets de tout le long de son corps jusqu'au bout de sa queue, avant de lui donner des petits coups de tête affectueux, ronronnant de tout son petit cœur de chat.
Quinn ne put s'empêcher de faire un mouvement en arrière, par réflexe. Allez savoir pourquoi, ces créatures pourtant vénérées dans presque toutes les cultures du monde le mettaient assez mal à l'aise.
Gardant une distance raisonnable avec le félin, il s'accroupit tout de même pour le caresser sous le menton, ne pouvant guère résister à la tendresse de l'animal, mettant momentanément le cas Paxton de côté dans son esprit.

Mais très vite, un éclair vint fendre le ciel, suivi d'un coup de tonnerre lointain. Le chat s'échappa pour venir se faire réconforter dans les bras de sa maîtresse, et Quinn se redressa, levant le nez vers le ciel.

Il s'était mis à pleuvoir un peu plus sérieusement, mais pas encore de quoi s'affoler.
Lorsque Paxton se leva avec difficulté, il prit le parti de ne pas intervenir, gardant tout de même un œil sur elle, au cas où.

Il la laissa partir sans un mot, ni sans chercher à lui apporter un bras aidant.
Mais lorsqu'elle fut assez éloignée, suffisamment pour en oublier sa présence, il se mit à son tour en marche vers le château, remontant le col de son manteau pour se protéger de la pluie.
Il prit bien garde à conserver une distance respectueuse avec la jeune femme, afin qu'elle ne se sente pas suivie -de toute façon, la lenteur était son rythme naturel- sans pour autant la quitter des yeux.
Si elle devait s'écrouler au milieu du parc, sous la pluie et en pleine nuit, au moins, elle ne se retrouverait pas abandonnée à son sort jusqu'à ce qu'on la retrouve en hypothermie le lendemain matin.

Allez savoir combien de temps s'était écoulé entre le moment où elle était partie, et celui où il l'avait vue ainsi, étalée dans l'herbe.

Le martèlement de la pluie sur son visage, la foudre qui illuminait brièvement et violemment le parc en l'aveuglant légèrement, le tonnerre qui rageait de plus en fort, voilà tout ce qui le rattachait à l'instant présent.
Tout le reste semblait quelque peu irréel. D'abord Paxton, qui n'était plus qu'une silhouette sombre et vacillante qu'il laissait s'éloigner vers le château, éclairée par intermittence au bon vouloir de la foudre de Thor, son propre pas qui ondulait malgré lui, sillonnant l'herbe du parc sous sa démarche lente et lourde, et ses pensées qui n'en finissaient pas de filer ; il était bien trop saoul pour songer à les rattraper.

Il songea à la quantité de bière qu'il avait avalée ce soir là, du moins il essaya, car il dut se rendre à l'évidence qu'il en avait rapidement perdu le compte ; il pensa à la musique folk qu'on avait jouée dans le pub, et qui lui faisait penser, il ne savait pas trop pourquoi, au joli sourire d'Aglae ; il pensa au Sort-THE-Lège, au livre qu'il avait promis de prêter à Avalon, à son sentiment de culpabilité d'avoir abandonné son sujet d'Ultimum et de ne pas en avoir encore trouvé de nouveau, à sa culpabilité de sortir se soûler au lieu d'en chercher un, ce qui le ramenait ici, dans ce parc, à l'instant présent, tentant de marcher droit sous cette pluie de plus en plus battante.

Pendant quelques secondes, il chercha Paxton des yeux. Ce ne fut que lorsqu'un éclair zébra le ciel, éclairant furtivement le parc, qu'il la vit, couchée dans l'herbe sur le dos.

Comme si on venait de le gifler, Quinn revint brusquement à la réalité, et se mit à courir en direction de la jeune femme.
Le temps qu'il arrive à sa hauteur, elle s'était péniblement redressée.
Lorsqu'elle lui donna officiellement l'autorisation de l'aider, un petit sourire étira légèrement ses lèvres malgré la situation.

"Sure, that's the plan," glissa-t-il à l'oreille de la jeune femme alors qu'il s'agenouillait près d'elle.

Il lui fit passer son bras derrière sa nuque, glissa le sien sous ses genoux et l'autre derrière son dos avant de la soulever du sol sans grande difficulté, si ce n'était celle de trouver son équilibre en se redressant.
Il la pressa contre lui, tentant de protéger son visage de la pluie. Il pouvait sentir contre sa joue le front brûlant de la jeune femme.
Sérieusement, on aurait pu faire cuire un œuf de dragon là dessus.
Sans demander son reste, il pressa le pas vers l'université, mais au lieu de se diriger vers la grande entrée principale, il bifurqua en direction du bâtiment de l'infirmerie, le chat de Paxton sur les talons.

Aussitôt qu'il eut posé un pied sur le sol de l'infirmerie, la jeune femme fut enlevée de ses bras et prise en charge. On la fit s'allonger, on lui posa des tas de questions, on s'affaira soucieusement autours d'elle.

De toute évidence, il n'était plus utile ici. Il décida alors de patienter jusqu'à ce que l'infirmière en ait fini avec Paxton, afin de lui demander quelque chose contre le mal de crâne, et il s'en irait après, retrouver son lit qu'il avait rarement imaginé aussi moelleux et accueillant.
Il s'était assis au bord d'un lit, un peu plus loin, s'interdisant de regarder en direction de Paxton pour qui la situation était bien assez inconfortable comme ça, jugeait-il.

Pour ne pas succomber à la fatigue qui s’abattait sur lui, il s'obligeait à regarder autour de lui : les différentes fioles de toutes les formes et de toutes les couleurs qui brillaient sur les étagères, les instruments magiques miroitant à la lueur des chandelles sur leur tablette, les grimoires médicaux... malgré tous ces efforts, il ne pouvait empêcher cette sensation d'être tiré vers l'arrière, ni cette impression de flottement qui le rendaient inconfortable. De plus, la chaleur de la pièce qui l'enveloppait, séchant ses vêtements quasiment à vue d’œil, l'incitait insidieusement à cesser de résister.
Alors il s'allongea sur le lit d'infirmerie, juste un petit peu. Pas longtemps, il avait simplement à attendre que l'infirmière puisse lui donner ce qu'il lui fallait, et puis il s'en irait, et Paxton ne serait plus jamais obligée de lui parler si elle ne le désirait pas.

Ce fut la dernière pensée lucide que son cerveau accepta de fabriquer.

Bientôt, un grondement digne de celui d'un dragon en colère, à en faire sursauter la banshee elle-même, résonna dans toute l'infirmerie, s'échappant d'entre les lèvres entre-ouvertes du jeune homme, innocemment endormi.